Ces marques le plus souvent discrètes sont restées longtemps énigmatiques et étaient le fruit de plusieurs interprétations, chacune avait sans doute sa part de vérité : Majuscules, écriture secrète, figures symboliques témoignant d’un événement, signes d’appartenance des membres ou des corporations de tailleurs de pierre du Moyen Age, lettres servant au montage des murs, marques servant à identifier le travail d’un tailleur, simple signature vouée à la postérité…
Les analyses les plus récentes attestent que ces marques lapidaires sont bien l’œuvre des tailleurs de pierre et que le caractère de ces marques peut être utile pour déterminer l’âge de l’ouvrage. Des caractéristiques de marques sont propres à chaque époque, et sont la signature symbolique propre à chaque tailleur. Ainsi, on pourrait suivre les déplacements d’un maître tailleur qui aurait contribué à différentes œuvres.
Les caractères géométriques des marques changent à chaque époque historique ; ainsi ont été définies les marques des styles : grec, romain, roman, gothique, gothique flamboyant, gothique tardif, renaissance, baroque, moderne.
Il existe quatre principes de conception des figures majeures : l’utilisation du carré ou quadrature, l’utilisation du triangle ou triangulation, le quadrilobe, combinaison du cercle et du carré, le trilobe, combinaison du cercle et du triangle, mais d’autres marques échappent à ces lignes fondamentales.
La place occupée sur les ouvrages est variable, cachée ou visible un peu partout sur des endroits élevés et rendus inaccessibles, façade d’entrée, pourtour des portes, des fenêtres, piliers, chapiteaux, jambages de fenêtre, nervures et clés de voûtes…
Au Château de Musinens une série importante de marques lapidaires figure sur les jambages d’une fenêtre maîtresse intégrée dans un large mur de 6 mètres de long et d’une épaisseur de 1,85 mètre. Cette fenêtre avec croisillon et meneau, est caractéristique du XV ou du début du XVI siècle. Elle est l’ouverture noble d’une vaste salle que certains qualifieraient de aula.
L’aula est une grande salle d’apparat et de prestige, placée au centre de l’ensemble de la construction, elle est souvent identifiée par des fenêtres nobles et la présence de coussièges. Une cheminée murale est souvent présente, la salle est parfois très grande et reçoit les blasons et les décorations de prestige des habitants du château. L’ornementation, très soignée, embellie de décors peints, agrémente cette vaste salle où, à Musinens, moyenne et basse justice était rendue dans ce lieu qui permettait l’accueil d’un large public.
Pour cette ouverture préservée, le jumelage des baies constitue une croisée à meneau vertical et traverses horizontales, les fenêtres de la partie haute actuellement bouchées et les ouvertures basses étaient fermées par du verre assemblé au plomb. Un barreaudage métallique extérieur protégeait ces fenêtres. A l’intérieur une feuillure recevait des volets. Quelques marques de tailleurs sont visibles sur des blocs bouchardés sur les deux tableaux de cette large fenêtre noble. A l’origine, un crépi de chaux devait couvrir les murs et les ébrasements de la fenêtre, dissimulant les marques de tailleurs. Le matériau d’encadrement est un calcaire blanc jurassien, les deux coussièges, partiellement dégradés sont de même facture, pour le claveau voûté, l’arc surbaissé segmentaire est en blocs de tuf.
L’espace compris entre un large ébrasement de 2,15 mètres se réduit sur une embrasure de 1,77 mètres de large. Chaque tableau mesure 1,45 mètre de profondeur pour une hauteur de 3,19 mètres, ajouter 23 centimètres de flèche pour l’arc surbaissé. Ces tableaux accueillent les marques des tailleurs. Une feuillure est présente sur l’arête de chaque ouverture. Une croix présente une signature plus grossière sur l’écoinçon. La moulure externe est décorée d’un simple chanfrein de 15 centimètres qui se termine par un congé de 30 centimètres orné de deux arcs en quart de cercle formant une corne fermée sur l’extérieur.
La marque de tacherons la plus intéressante représente une étoile ou pentagramme surmontée d’une croix latine. Inscrit dans un cercle invisible elle peut figurer les cinq années d’études et de formation qui précède l’initiation du tailleur de pierre.
Le pentagramme exprime la quintessence, la perfection, l’état du connaissant. Le pentagone étoilé constitué à partir des diagonales d’un pentagone régulier, ou pentacle, possède de nombreuses propriétés géométriques et numériques : il est le rapport de la diagonale au côté, et sa valeur, le nombre d’or. Si on développe le sens de cette signature, on peut penser que pour ce pentagone étoilé, chaque branche représente les cinq éléments : Eléments légers : L’Air et le Feu ; éléments lourds : la Terre et l’Eau, et le cinquième élément : la Matière primordiale, l’Ether.
Le pentagramme droit, positif, surmonté d’une croix est un aboutissement spirituel pour l’auteur de cette marque. Avec l’angle supérieur vers le haut, il représente dans l’esprit médiéval, le « Christ interne » de tout homme qui vient en ce monde, il symbolise le divin. Les occultistes attribuent un sens néfaste à l’étoile qui étendrait deux pointes en haut, ils en font le symbole de l’esprit perdu, enfoncé dans la matière, dominé par elle et amenant l’égarement des sens, l’aberration, l’anarchie, l’aveuglement.
Pour les Francs-Maçons, l’étoile à cinq branches devient l’Étoile Flamboyante, sa position normale, une seule pointe en l’air, représente la tête qui commande aux membres, l’esprit vainqueur des attractions élémentaires ou matérielles.
Pour Hildegarde de Bingen, le nombre cinq est le symbole de l’Homme, celui-ci se divisant, dans le sens de la longueur autant que dans celui de la largeur (bras écartés), en cinq parties égales, et de la sorte pouvant s’inscrire dans un carré parfait. Cette marque est révélatrice de la signature d’un tailleur expérimenté qui après être passé à Musinens, a trouvé un chantier à sa mesure dans une autre région.
Une autre signature est représentée par deux rectangles fondus, non chevauchant. Nous voyons que le taillant du ciseau utilisé est légèrement émoussé pour cette marque alors qu’il est très affuté pour la marque lapidaire en étoile et croix. Nous avons observé une seule marque de ce type.
La marque en croix simple, est peut-être plus commune, elle est présente à 5 reprises au château. On peut remarquer qu’une même signature figure pour des pièces faisant appel à un schéma de calepinage identique.
La stéréotomie ou l’art d’assembler les éléments de pierre pour constituer une œuvre architecturale, laisse beaucoup d’énigmes, les pièces les plus complexes n’ont généralement pas de marque lapidaire. Il est fort possible que de nombreuses marques de tailleurs restent invisibles, à nous de les découvrir